Bertold Brecht


Sainte Jeanne des Abattoirs | 2006

Adaptation Leyla Rabih
Mise en scène Robert Cantarella, Julien Fišera, Wolfgang Menardi
Traduction Isabelle Liber
Scénographie Laurent P. Berger
Lumières Laurent P. Berger et Victor Dos Santos
Dramaturgie et coordination artistique Leyla Rabih
Dramaturgie Camille Louis

Avec Marie-Laure Crochant, Laure Mathis, Nicolas Maury, Wolfgang Menardi, Brigitte Pillot, Aline Reviriaud, Katrin Schwingel, Grégoire Tachnakian, Emilien Tessier

Se souvenir des attitudes du dauphin et des effets d’émotions du film d’Otto Preminger qui a réalisé une version très hollywoodienne de la vie de Jeanne d’Arc.

Attractions et dérives. Parmi toutes les idées qui peuvent venir avec ces termes et en relation avec le théâtre de Bertolt Brecht, je retiens l’idée de l’exposition d’un savoir extérieur. C’est-à-dire de demander par exemple à des gens qui savent faire quelque chose de venir le montrer sur le plateau pendant le moment de la rencontre avec les spectateurs. C’est la rencontre artistique à laquelle j’aimerais assister que je dois reconstituer.

Démonstration sportive, savoir pratique, ou bien explication d’un fonctionnement.

Le travail de metteur en scène est de monter un texte, dit-on. On le comprend dans la mesure où nous pensons en retrouver un fonctionnement qui serait dormant en l’état de texte écrit et qu’il faudrait monter pour en faire un nouvel usage (on remonte un mécanisme). Dans le cas de Sainte Jeanne, ce verbe est une entrée qui peut permettre de jouer un peu différemment. Le texte est écrit par Brecht pour la radio. Par conséquent, un texte sans image, sans représentation visuelle, en dehors de ce que le texte fait à l’imaginaire de chacun. Monter ce texte, c’est aller vers ce creux au-dessus des figurations. Pour nous, laisser apparaître les interstices, les failles, les différences de jeux, les styles de jeu des acteurs.

C’est une pièce sur l’engagement et la responsabilité. Comme souvent en ce qui concerne cet auteur, une lecture rapide et paresseuse fait paraître un sujet simple mais efficace : jusqu’où l’héroïsme révolutionnaire est-il compatible avec la réalité ? Puis, l’édifice tremble ou plus précisément, ne peut être saisi en un seul plan. Bertolt Brecht efface les prises qui feraient de lui un auteur récupérable. Ce texte saute aux yeux, car il est fuyant. Ce qui se distingue à l’écoute est l’absence de centre et de contours. Les figures sont complexes, humaines, terriblement vraies et échappent à toute lecture rassurante pour qui que ce soit.

Mettre à la scène ce texte pour partager sa force d’échappée. Pour cela nous sommes trois régisseurs. Nous avons divisé la pièce en trois parties et chacun s’occupe de sa part. Ces trois façons de monter vont se correspondre, ou non.

Ce travail est un test pour nous. Cette recherche n'est pas préparée pour être aboutie. Le public doit venir tester cette représentation. Je sais que ce n’est pas pareil avec une salle pleine. Nous cherchons un jeu neutre, mais rien ne peut se vérifier sans la présence du public. Ce n’est pas une étape de travail mais un mouvement à plusieurs qui ne se constitue qu’à la condition du contact avec les acteurs et les assistants. Pendant la représentation, le spectateur est considéré comme un des travailleurs, il est comme un des participants de la constitution d’un espace/durée qui fabrique du sens qu’à cette condition.

Si ce texte nous parle de notre temps avec une acidité jubilatoire, c’est qu’il fait vivre la face cachée du pouvoir capitaliste tel qu’il décide de tout acheter au risque de tout tuer avec délice et énergie. Cette face a le visage de Jeanne d’Arc.

Jeanne, la sainte sans peur et sans calcul sinon celui de faire le bien, est reconnue par l’homme solitaire, Mauler, qui « capitalise le monde » et vit seul, retiré dans son usine. C’est une histoire d’amour et de pouvoir. En 1930, en 2006, les hommes de pouvoirs ont envie d’être aimés pour ce qu’ils sont et eux seuls le savent. Jeanne est la figure du phantasme du roi de la viande Pierpont Mauler. Elle sera sacrifiée sur l’autel de la transformation du monde, « par-dessus le marché » dirait le philosophe Alain Badiou. Lucidité ne paie pas.

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