Antonin Artaud
Les Cenci | 1981
Antonin Artaud est né à Marseille en 1896.
Le 7 mai 1935 a lieu à Paris, la création de Les Cenci, tragédie en 4 actes et dix tableaux sur un thème de Stendhal et de Shelley. Les décors sont de Balthus et la musique de Désormières. La pièce sera un échec. Les Cenci sont l’apogée et la fin de la carrière théâtrale d’Artaud.
Robert Cantarella choisit cette pièce pour faire ses premières armes de metteur en scène à l'age de 23 ans. Elle est présentée dans une église désaffectée de la rue de Breuteuil à Marseille.
Je faisais partie du groupe d’acteurs que Jean-Pierre Raffaëlli avait débauché de la classe officielle du conservatoire et on avait été accueilli par Marcel Maréchal. Je travaillais pour lui et je faisais tout dans le théâtre du Gymnase puis à La Criée. La régie technique, le figurant, l’animateur. Nous prenions des cours de théâtre dans les couloirs du théâtre. Jean-Pierre a eu une proposition de l’équipe d’acteurs qu’il dirigeait pour faire une mise en scène nouvelle après un Claudel dont je ne me souviens plus du tout. Mais il m’a proposé de le faire à sa place. Pourquoi ? Je ne sais pas, mais c’est lui qui m’a permis de l’imaginer comme possible, puis de passer à l’acte. Si nous avons choisi Artaud c’est que c’était parmi les premiers volumes de son immense bibliothèque. Je voulais tout lire pour rattraper mon inculture. Je venais chez lui, je prenais des textes et je lisais, la nuit. Arrivé à Artaud j’ai dit que je voulais faire celui-là car en plus il était de Marseille et j’aimais le texte. Puis je savais que les acteurs accomplis et plus vieux parlaient de Artaud avec considération. Je ne savais pas pourquoi mais j’aimais ce texte qui était la réécriture d’une nouvelle de Stendhal. J’aimais Stendhal à la folie, je ne sais plus pourquoi. Peut-être l’idée d’un texte qui était un relais et je devais aimer la sensation d’inscrire la responsabilité d’une mise en scène de commande dans une suite. Tout était donné, la distribution puisque c’était les acteurs de la troupe de Jean Pierre Raffaëlli et les conditions de travail. C’était des amis. Je me souviens de Thierry Digonnait qui était un jeune premier extraordinaire que Maréchal avait engagé dans les grands rôles. De Henry Abisror qui était mon ami des beaux-arts avec qui j’avais fait les premiers pas hors des arts plastiques et qui était le complice absolu de tous les essais les plus ésotériques et d’autres dont je ne me souviens plus des noms mais très bien des visages, des expressions. J’avais la liberté de prendre la pièce dans le registre que je voulais. Elle est en fait un condensé de ce qu’Artaud imaginait devoir être l’application de son théâtre de la cruauté. On sait que le succès fut mitigé quand il en fit la mise en scène. Je m’appliquais à ne pas être sous influence de l’idée que l’on pouvait se faire du théâtre de la cruauté. Je ne sais pas très bien encore ce que cela recouvre, mais pour moi la fable et l’excès m’ont donné des ailes. A la fin du spectacle les acteurs passaient leur tête dans une grande bâche plastique et une d’entre elle était fausse, mais cela ne se devinait pas depuis la salle. Henry tirait sur toutes les têtes et tout à coup la fausse se détachait, je me souviens des hurlements dans la salle. Puis de la critique qui avait pris cela comme l’application de la cruauté. Bien évidemment cela a suscité des débats sans fin dans notre groupe et j’étais fier de faire le seul texte de théâtre d’Artaud à Marseille. Ah oui, cela se passait dans une église rue Breteuil. C’était le lieu d’un garçon qui ne faisait que du mime et qui était une gloire de la ville. Que la mise de ce texte se fasse dans une église et que les spectateurs y assistent sur des bancs a aussi créé des polémiques au point que les acteurs professionnels de la Criée où j’étais figurant, sont venus voir le travail. Un d’entre eux, qui était un acteur que je voyais beaucoup à la télévision de Paris m’avait dit – oui, c’est pas mal, mais il faut que tu t’occupes plus des acteurs.