Noëlle Renaude
Le renard du Nord | 1993
Création à Gap
Mise en scène Robert Cantarella
Avec Evelyne Istria, Florence Giorgetti, Bruno Sermone, Serge Riaboukine, Elisabeth Vitaly, Christophe Braul, Emmanuelle Monsu, Jacek Maka, Maxime Leroux.
« Les enfants naissent toussent lisent et puis ils expirent »
Noëlle Renaude
Au début à lire en regardant sens et signe. Je peux dire ce que je fais quand je lis un texte de Noëlle Renaude. L’expérience commence à cet instant, quand j’ouvre ou dévide les pages du texte. Cette fois-ci après La belle journée qui demandait à cartographier les inscriptions de pages à l’aune de leurs projections sur la scène, je regarde les feuilles, l’air de rien. L’air de rien c’est-à-dire avec le visage qui ne fixe pas tout le temps les inscriptions, je regarde vers d’autres directions, j’observe les bords, les alentours. C’est la première fois. Juste pour voir avec le reste du texte ce que je dois faire, qu’elle sera ma position, ma préhension. J’avais donné ce conseil aux lecteurs pour Ma Solange : feuilletez et prenez plaisir, une saisie du texte dans son projet, dans sa destination. Il faut enregistrer les déclenchements comme lors d’une promenade et que bifurquant à l’approche d’un vallon en raccordant ses pas au petit sentier, on se laisse imposer un raccord à priori absolument arbitraire et que rien ne justifiait avant le temps de l’ouverture du texte. Le cheminement est le futur travail de scène. Ce n’est pas la reproduction de la page, mais son allant, sa vitesse, son exécution, l’inspiration qui l’ont dessinée ainsi, qui doivent croiser celle du metteur en scène donc du lecteur.
Sauter aux yeux.
J’ai créé plusieurs textes de NR. Le renard du Nord, Divertissements touristiques, Fiction d’hiver et Une belle journée, et bientôt ceux-là, publiés dans ce livre. Je l’espère, j’en ai envie. Je vais donc décrire l’envie de travailler à partir de ces textes.
L’envie vient de l’entame d’une nouvelle lecture. Cette exigence à se mettre de nouveau à lire, non pas autrement mais à l’encontre, à rebrousse signe pour entrer en bon rythme avec le courant de l’écriture. Je précise : la page s’offre à voir et à lire. Les deux fonctions agissent ensemble, sans privilège, en fomentant une lecture biaisée de nos pentes traditionnelles.
Voir ce qui s’écrit c’est presque faire voir ce qui était écrit : travail de metteur en scène. De ce subtil et délicieux mouvement entre les deux verbes naît la saisie qui me donne envie. Celle-ci change à chaque coup. Chaque texte paginé arrive en tant que suggestion de ce mouvement à venir, comme promesse de scène. Je pense que cette promesse a souvent était assimilée au futur plaisir de la retranscription de l’écrit dans une histoire avec sa bonne interprétation. Je comprends cette envie. Ce n’est pas la mienne. Si l’écriture de NR fait théâtre de la page, c’est qu’elle ne suppose pas un type de théâtre, elle le construit sans souci d’une prévision. On peut tous les convoquer. Là est son art, là est son exemplarité dans toute l’écriture faite pour la scène d’aujourd’hui.
La scène couchée sur la page donne des idées en théâtre.
Elle résout l’opposition stupide entre le texte et l’image dès l’origine de l’écriture, elle inscrit l’espace fictionnel et l’espace relationnel (elle expose, on peut choisir). Je lis tout de ce texte-là . J’enquête sur chaque indice, je sais qu’ils seront des occasions de jeu, de disposition, d’organisation et d’énergie avec ceux qui l’interprèteront. Le texte est à droite, donc disons le à droite de la scène.
Lire m’oblige à dessiner l’air entre les parleurs. Théâtre écrit, au plus haut de son exigence de théâtre, comme seul cet art peut le résoudre, les textes de Noëlle Renaude réclament les métiers de la scène. Le public en fait partie.
Puis le sens qui se construit par la carte de la page. Je m’occupe peu du sens, mais plutôt de la dispositio ( une des composantes de la rhétorique mais aussi de la composition picturale) qui le fera apparaître au moment de la juste figure. Cela paraît peut-être abstrait ou verbeux. C’est concret, sensuel, drôle et inquiétant. On ne sait rien avant que les corps commencent leur physique de la scène.
Par exemple : la pléthore des prénoms, cette convocation d’une partie de l’humanité par leur nomination. Ne pas se demander pourquoi mais comment. Donc le faire, et voir la jubilation surgir, et puis le savoir qui en découle, et puis la plasticité du monde se composer devant nous et décidément encore une fois trouver que Noëlle Renaude est un auteur de théâtre qui exige au théâtre d’être l’art de l’écrit s’incarnant.